Grco
Habiter une chanson. L’interpréter pleinement. Jusqu’à la mort. Il ne pourrait s’agir que de formules creuses. Pourtant, sur la scène du Chatelet, Juliette Gréco ne fait pas autre chose. Comment le pourrait-elle ? C’est ce qu’elle a toujours fait. Peu importe qu’elle ait maintenant 80 ans, peu importe que les notes soient de moins en moins tenues, l’énergie est intacte, la voix plus grave et profonde que jamais et les gestes, ah les gestes…  Avec un dispositif scènique  minimal – un micro, un piano, un accordéon –  la Gréco déroule un repertoire qui court sur plusieurs décennies, essentiellement des chansons de son mari, le génial Gérard Jouannest compositeur de quelques unes des plus belles chansons de Jacques Brel. La présence de Jouannest au piano et le mélange de rage et de tendresse que la chanteuse insuffle à Mathilde, la Chanson des vieux amants (ce refrain…), J’arrive ou Ne me quitte pas (ratée, seule fausse note de la soirée) semblent même réssuciter pour quelques instants le vieux Jacques "arrivé" depuis bientôt 30 ans. Il y a du Ferré aussi, Avec le Temps, mélancolique à souhait, et le malicieux Jolie môme. Gainsbourg et Trénet sont également convoqués, ainsi que Déshabillez-moi, qui, l’âge aidant, prend un tour délicieusement camp ("Je sais que je ne devrais pas chanter cette chanson", glisse-t-elle mutine, en préambule – sous-entendu "à mon âge"). A ce stade, la salle est déjà conquise ; elle peut alors lui porter le coup de grâce avec une version sublime du Temps des Cerises, pour laquelle elle se fait soudainement sobre. En introduisant cette dernière, elle livre cette phrase qui résume à elle seule plus de cinquante ans de carrière "C’est une chanson d’amour, donc une chanson révolutionnaire ; c’est une chanson révolutionnaire, donc une chanson d’amour".