Stephensondheim
Je suis actuellement en train de lire Stephen Sondheim : A life, la seule véritable biographie ("autorisée") de Sondheim, par Meryle Secrest. Ce livre, évidemment passionnant, raconte la genèse du génie de Stephen Sondheim, puis navigue au fil de ses oeuvres, de ses réussites (West Side Story, Gypsy, A little Night Music, Sunday in the park with George, etc.) et ses échecs (Anyone Can Whistle, Merrily, we roll along). La première partie du livre, qui revient sur la période allant de son enfance au début de sa vie d’adulte est la plus intéressante. Peu d’hommes ou de femmes n’ont eu autant d’atouts en main pour réussir dans le domaine artistique : famille aisée, qui peut payer des cours de musique et l’envoyer dans de bonnes écoles, mère juive abandonnée qui devient monstrueuse – de quoi donner une bonne névrose favorisant l’inspiration, relations en or – il est ami avec les enfants des deux hommes ayant révolutionné la comédie musicale américaine, Oscar Hammerstein II et Richard Rodgers (Hammerstein le prendra d’ailleurs sous son aile), coups de bol : rencontre avec le dramaturge Arthur Laurents qui convainc Leonard Bernstein et Jerome Robbins de lui confier les paroles de West Side Story… L’anecdote la plus célèbre est sans doute celle de By George, la toute première oeuvre de Sondheim, écrite pour son lycée, alors qu’il n’a que 15 ans. Il la montre au père de son ami Jamie Hammerstein et lui demande crânement de la lire et de la critique comme si c’était du travail professionnel. Verdict du maître : "C’est la pire chose que j’aie jamais lue". Devant la perplexité et l’abattement de son jeune interlocuteur, Oscar Hammerstein ajoute : "je n’ai pas dit que c’était sans talent, mais que c’était mauvais. Si tu veux savoir pourquoi c’est mauvais, je t’expliquerai." Stephen Sondheim dit qu’il a alors appris plus sur l’art de faire des comédies musicales en une après-midi que la plupart des auteurs en toute une vie. L’influence d’Hammerstein ne s’arrête pas là. Il lui donnera des exercices et critiquera ses premiers travaux. Le mentor mourra toutefois avant que son élève produise sa première véritable oeuvre, A funny thing happened on the way to the forum. A partir de là, la biographie demeure très prenante, mais devient un poil plus académique et pourrait être finalement celle de n’importe quel autre acteur du show business de Broadway. Autre anecdote, révélatrice d’un autre trait de caractère de Sondheim : l’arrogance. Alors qu’il a la vingtaine, raconte Meryle Secrest, on emmène le futur compositeur chez Cole Porter, alors handicapé et vieillissant. Sondheim, qui avait composé une parodie de chanson de Porter, intitulée La Bordelaise, se met crânement au piano et interprète sa parodie. Porter reste stoïque et se contente de lui conseiller de rallonger la fin, parce que c’est ce que lui fait toujours. "Le pauvre, il savait exactement ce que je faisais", commentera Sondheim.
Suite des commentaires au prochain épisode.