Torch song trilogy n’est pas à proprement parler une comédie musicale, mais ce fut un hit sur Broadway (1.222 performances) et la pièce a raflé le Tony Award 1983 de la meilleure pièce,  ainsi que celui du meilleur acteur, pour Harvey Fierstein, donc cela justifie sa présence sur ce blog. La pièce, écrite par Harvey Fierstein, est en fait une succession de trois pièces, qui au final forment une seule pièce en trois actes. Elle se joue en ce moment à Paris, au Vingtième Théâtre, a priori jusqu’au 22 septembre, mais visiblement, les représentations viennent d’être prolongées jusqu’au 30 octobre. Transposer en français une pièce comme celle-ci tenait de la gageure. Le texte est long et complexe. Je n’aime d’ailleurs pas totalement la traduction, qui en rajoute dans les «foutre», «emmerde», «putain», comme pour donner plus de force aux sentiments exprimés, quand le texte original dit les choses de manière plus banale et laisse l’interprétation souligner les mots. L’interprétation est quant à elle une autre paire de manche. Fierstein a écrit la pièce avec un premier rôle à sa (dé)mesure. Arnold Beckhoff est un personnage profondément camp, qui oscille en permance entre le comique et le tragique. L’acteur qui incarne Arnold dans l’adaptation française ne convainc d’ailleurs pas toujours, surtout pour le long monologue introductif (pour sa défense, j’ai vu la deuxième représentation, réputée la pire), mais s’en sort globalement plutôt bien. Les deux autres grands rôles de la pièce sont Ed, qu’Arnold rencontre au début de la pièce (ils se séparent ensuite et reviennent ensemble à la fin) et la mère d’Arnold, figure typique de mère juive. J’ai eu un peu de mal au début à oublier les acteurs du film. L’ Ed du film, Brian Kerwin était un beau trentenaire, très mâle, très américain ; celui de l’adaptation est un français, un peu beauf, pas canon, mais qui assume totalement son personnage (ce qui rend peu crédible le fait qu’il dise travailler «à Brooklyn», alors qu’on le voit plutôt dans la banlieue lilloise). C’est un parti-pris, et je le trouve plutôt réussi. Même chose pour la mère. Autant Anne Bancroft était explosive, autant l’actrice tente de se faire plus nuancée. Assez réussi là aussi. Les deux jeunes acteurs interprétant les rôles d’Alan, le grand amour d’Arnold, et David, son fils adoptifs, font du bon boulot et, comme leurs rôles l’exigent, sont plutôt sexy. Chanceux, d’ailleurs, sont ceux qui ont pu voir un jeune Matthew Broderick dans le rôle de David lors de la création de la pièce Off-Broadway en 1982. C’est grâce à ce rôle que Broderick a été repéré et qu’il a pu mener la carrière que l’on sait. Enfin la partie musicale de la pièce, avec le personnage de Lady Blues, interprété par la drag Charlène Duval est intéressant, même si ses interventions cassent quelque peu le rythme de la pièce dans le premier acte. À noter son adaptation de l’hilarant «I puke», que l’on peut voir dans le film, et qui devient «Je gerbe». Rien à vraiment redire sur la mise en scène. Je m’étonnerai juste de l’omission de deux détails cruciaux par rapport au texte original :

  1. la chute du monologue introductif. Arnold parle de son amant sourd et montre quelques signes, dont celui de «Pas assez». Il enchaîne sur le fait que personne ne l’ait véritablement aimé. Il se fait soudain assez grave et dit que cela le touche. Puis il termine en disant «Pas assez», et fait le geste qui correspond à l’expression. Le «not enough» est essentiel, car il montre l’essence même d’Arnold, le camp. Oui, j’ai été malheureux en amour, mais ça ne m’empêche pas de vivre, car je suis fabuleux. Avec cet oubli, on reste sur un aspect tragique simpliste du personnage.
  2. Ensuite, la dédicace d’un morceau à la radio par Alan pour Arnold n’est pas montrée. Alors que la fin de la pièce est justement un rappel de cette scène, avec David qui dédicace un morceau pour Arnold. Arnold mentionne la scène oralement à David (qui dans la pièce originale lui fait comprendre qu’il a entendu cette histoire 1.000 fois et que ça le saoûle) et finalement, la fin de la pièce perd légèrement en force. Le rappel est moins évident, la filiation entre l’amour d’Alan et celui de David est moins évidente.

Au final, l’adaptation, même si elle est perfectible, est plutôt réussie et vaut le détour. Ma scène préférée : celle où David explique à Arnold qu’il aime la manière dont il le materne, mais qu’il refuse de servir d’excuse au peu d’empressement de ce dernier à refaire sa vie.